»»naked as we came
La série est bientôt terminée. Je les vois, derrière la vitre de plexiglas qui me sépare du monde. Je les entends cliqueter, prendre vie, comme je l'ai fait il y a quelques minutes à peine. Ils vont ouvrir les yeux eux aussi, comme nous tous. Ma peau se hérisse, mes ongles factices éraflent mon emballage. Pour éviter les chocs, parait-il. Nous sommes quelques dizaines, une poignée de création. Nus, impersonnels. Nous sommes les sexbots. Pas totalement finis cependant. Nous manque un visage. Un vrai, visage. Pas celui-ci, de métal. La peau qui doit nous recouvrir est le dernier élément, le bijou de technologie qu'il ne faut surtout pas abimer. Les trois derniers ouvrent les yeux et se redressent, comme hébétés. C'est incroyable ces sensations. Quelque chose me pousse à vouloir m'approcher, les toucher, les prendre dans mes bras et leur souhaiter la bienvenue dans ce monde. Mais je ne peux pas, dans ma petite prison protectrice. J'ignore qui ils sont, ce qu'ils deviendront. Est-ce qu'ils pensent comme moi ? L'impatience fait frémir toutes mes terminaisons électroniques. La peau. J'ai hâte de voir qui je vais être, ce que je vais être. Mes fonctions sont d'obéir, de satisfaire mon propriétaire. De tout calculer pour son bonheur. Pendant qu'on me déballe à mon tour pour m'apposer ce visage qui n'appartiendra qu'à moi, la seule chose que je posséderai jamais de toute mon existence, la curiosité me fait divaguer. Est-ce qu'une famille voudra m'acheter ? Je sais comment m'occuper des enfants. Mais il faudra les directives de monsieur et madame, bien sur. Ce serait dramatique de ne pas les contenter. D'abord, les devoirs. Mathématiques, pas de soucis. Langues, aucun problème. Sport... il faudra que je veille à maitriser ma force de robot pour ne pas les blesser. Mais s'il n'y a pas d'enfants ? En rentrant du travail, madame trouvera toujours des repas équilibrés soigneusement préparés avec un verre de son vin préféré. Pour monsieur, je dois absolument demander quel est son journal habituel, pour ne pas me tromper. Et si j'oublie ? Je les prendrai tous ! Pourquoi est-ce qu'ils me poussent ? Ah, oui, l'usine, c'est vrai. Je ne suis pas encore vendu. D'abord, la peau. Et ils ont fini, n'est-ce pas ? Oh, j'aimerai savoir à quoi je ressemble... mais les techniciens n'ont pas le temps. Dommage, ça me paraît important. Ah, le plus jeune me tend un miroir de poche. On ne voit pas grand chose, mais avec le recul.. Oh. C'est donc moi. Bonjour.

Les portes se sont ouvertes ce matin, et beaucoup d'entre nous sont partis. La moitié, je dirais. Surtout les apparences féminines, en fait. Est-ce qu'elles ont un programme en plus qui est tellement recherché ? Les concepteurs sont des idiots, pourquoi ne pas avoir donné ce logiciel mystère à tous, les humains auraient pu avoir chacun leur bonheur. Le nouveau client est revenu me voir quatre fois depuis qu'il est entré, et il n'arrête pas de me triturer les mains et la bouche. Quelle étrange manie. Mais finalement, il repart avec un autre, celui qui avait les yeux très étroits et la bouche épaisse. Ses mains n'étaient pas si belles que ça je crois. Beaucoup de familles sont entrées et certains enfants sont passés devant moi en criant et courant. Il ne faut pas les réprimander si ce n'est pas un ordre de monsieur et madame. Et puis ça ne fait pas vibrer mes composants alors ce n'est pas grave. L'un deux à essayer de me pousser pour me faire tomber, mais j'étais trop lourd pour ses petits bras. Alors il m'a mordu la main. C'était froid et un peu piquant. J'espère que la marque de dents va vite partir, je suis sur que c'est pour ça que le client de tout à l'heure n'a pas voulu m'acheter finalement. J'ai peur que le magasin ferme avant que mon acheteur ne soit venu. Qu'est-ce qui va se passer une fois les portes closes ? Est-ce que je vais rester là, debout, toute la nuit, avec ceux comme moi qui n'auront pas plu ? Ou est-ce qu'on nous enverra à la casse, inutiles ? La main du vendeur heurte mon ventre en voulant me désigner. Tiens, je n'avais pas vu ce monsieur là. Il est plus grand que tout ceux qui sont venus aujourd'hui pourtant. Ah, mais il est tout pâle. S'il est malade, je devrais prendre soin de lui donner ses médicaments aux heures précises. Et surveiller qu'il ne lui arrive rien dans son sommeil. Très important de mémoriser le numéro de téléphone du médecin aussi. Est-ce qu'il a des enfants, alors ? Les humains malades peuvent quand même avoir des enfants, non ? Ouille, mes électrodes s'affolent. Il a tiré la peau de ma joue de toutes ses forces. Mais elle est restée bien collée à mon squelette de métal. Qu'est-ce qu'il voulait ? Est-ce qu'il aime mieux ses robots quand ils n'ont pas l'air comme lui ? Mais... je l'aime bien, ce visage. Il est à moi. Ah tiens, il sourit. Ce n'est peut-être pas important, après tout. Il a l'air content en serrant la main du vendeur. C'est mon monsieur alors ? Bonjour.

Majordome. Pourquoi les humains ont-ils inventés un métier pour les robots ? Est-ce que ce ne serait pas plus simple d'être "le robot" ? En plus, il a décidé que tout le monde devrait m'appeler Eden, et que je devrais aussi me présenter sous ce nom. Je ne comprends pas bien. Je suis un robot. Le 102é de 2081, le 15é de la série 23809. Peut-être que les chiffres ne sont pas aussi simples pour les humains. Mon monsieur dit s'appeler monsieur Hwang, mais que pour moi ce sera maître Hwang, comme les autres domestiques. Je ne comprends pas. Est-ce qu'il y a d'autres robots qui travaillent ici ? Et ce ne sont pas des majordomes ? Ah, dans la cuisine, les domestiques. Je suis monsieur pour les rencontrer, puisque je vais être leur supérieur à partir de maintenant. Ça veut dire que c'est moi qui donne les ordres. D'accord. Mais les robots n'ont pas besoin qu'un autre robot leur donne des ordres. Mes composants s'échauffent. Mais... ce sont des humains. Les domestiques, ce sont des humains ! Ils ne sourient pas, pas comme maître Hwang. À partir de maintenant, tout les jours, je devrais donner des ordres à des humains. Mais ce sont les humains qui me donnent des ordres.. Je suis là pour les satisfaire.. Je ne comprends pas.. Ah, il y a une petite humaine. Maître Hwang a des enfants. Non, elle travaille ici elle aussi. Je dois donner des ordres à une enfant ? Comme c'est étrange. Elle a attendu que monsieur soit parti pour prendre ma main. Bonjour.

La table est mise, la chambre est faite. Tulia frappe son tablier pour en retirer les poussières accrochées avant de venir me voir. Elle sait que je scanne par habitude ses vêtements pour m'assurer qu'ils sont irréprochables. En une année entière, maître Hwang a toujours été très satisfait par notre travail. Il ne sait pas bien sur que dans la journée, lorsqu'il est parti au travail, parfois, les domestiques m'attrapent pour essayer de me rendre moins... sérieux, disent-ils. N'empêche que la fois où ils m'ont fait boire ce liquide bizarre, de la .. vadko ? vodko ? vodka ! Mes circuits ont bien failli griller. Et puis Tulia n'arrête pas de me jeter des coussins dans la tête partout où je passe, et ça la fait rire. Je ne comprends pas ce qu'il y a de drôle là dedans. Mais, comme ça lui fait plaisir, je lui en jette un de temps en temps, quand le maître n'est pas là et que nous avons un peu de temps. Jae Hwa a voulu me faire essayer une cigarette et m'a regardé avant de grands yeux comme si j'étais une expérience. Mais visiblement, il a été déçu. Il attendait un "effet vodka" qu'il a dit. Tulia est la seule qui ne fait pas faire d'expériences même si ça la fait beaucoup rire. Parfois, elle interdit aux autres d'en faire. Elle dit que ce n'est plus de la camaraderie mais de l'humiliation. Elle a tort, je veux juste que tout le monde soit content. Mais comme je ne peux pas lui faire plaisir à elle et aux autres en même temps, il faut choisir. Et puis, ce n'est pas souvent terrible. Elle m'a appris, l'humiliation, ce que c'est. Je sais la reconnaître maintenant. Mais, ça n'arrive vraiment pas souvent. Surtout avec Jae Hwa, en fait, quand il est de mauvaise humeur. Tulia donne une petite tape sur ma joue droite. Elle est toujours aussi petite, l'enfant humaine. Les premières voitures des invités se garent dans le jardin. Heureusement qu'il ne pleut pas, maître voulait que la dégustation du champagne se passe dehors. Jae Hwa n'aura pas à mettre les bâches. Un couple passe la porte d'entrée que je leur tient fermement. Bonjour.

Tulia pleure beaucoup. Même Jae Hwa ne plaisante pas, ne s'énerve pas. Il a les lèvres pincées. Je ne comprends pas. Les petits poings de l'enfant humaine heurte ma poitrine plusieurs fois. Elle répète que je n'ai pas le droit, que monsieur n'a pas le droit. Est-ce que je dois la prendre dans mes bras pour qu'elle cesse ? Ce n'est pas moi qui ne comprends pas, c'est elle. Elle me demande pourquoi, pourquoi j'obéis. Je suis un robot, je suis un sexbot. Je suis programmé pour satisfaire mon propriétaire, et tout les humains si possible. Les ordres du maître ne sont jamais discutés, jamais. J'obéis parce qu'il est important de lui faire plaisir. Mais je n'aime pas voir Tulia pleurer, ça tord quelques électrodes, c'est désagréable. Et puis je ne sais pas comment faire pour qu'elle soit contente, elle ne me donne pas d'ordre à suivre. Alors je la laisse dans les bras de Jae Hwa qui serre les dents et je monte dans la chambre du maître, comme il me l'a demandé ce matin. L'attendre dans ses appartements à son retour. Et quand il est en face de moi, quand ses mains arrachent les boutons de ma chemise et qu'il plaque ses lèvres sur mes artificielles, un logiciel que je ne connaissais pas se met en route. Ses mouvements sont brusques et le lit me réceptionne à peine. Des sons que je ne savais pas pouvoir émettre se diffusent et le corps de maître Hwang fusionne dans le mien. Je n'ai même pas eu le temps de dire bonsoir.

Les bras de Tulia me serrent si fort que mes rouages grincent. La main de Jae Hwa glisse dans mes cheveux pour les mettre en désordre. Je n'aime pas qu'il fasse ça, tout doit toujours être placé au millimètre près pour maître Hwang. Ah oui, c'est vrai. Ce n'est plus maître à présent. C'est monsieur Hwang, monsieur, comme avant qu'il m'achète. Tulia n'arrête pas de répéter que le nouveau modèle de sexbot qu'a acquit monsieur ne me remplacera jamais dans son coeur. Mais je n'étais pas dans son coeur, j'étais dans la cuisine avec elle. Je ne comprends pas très bien. JaeHwa me dit avec un sourire étrange que je ne passerai plus par la chambre du maître. Est-ce que c'est important ? Ils n'aimaient pas cet ordre de monsieur. Mais il ne le leur a jamais demandé. Pourquoi n'aiment-ils pas un ordre qu'on me donnait ? Monsieur m'a vendu, monsieur a trouvé un sexbot plus performant que moi, une nouvelle série, de nouveaux logiciels. Une voiture se gare à quelques mètres et un homme en sort. Est-ce que c'est la personne qui m'a acheté ? Je crois que je ne pourrai plus jeter de coussins sur Tulia. Elle pleure. Pourquoi je n'arrive jamais à la satisfaire ? Mon squelette de glace frémit chaque fois qu'elle pleure. Même JaeHwa a les yeux mouillés. Ah, je crois que je sais. Ils vont me manquer. Aurevoir.

»»and the day that never came
Racontes-nous qui tu es, ce que tu fais dans la vie etc ! Fais nous une courte description ou racontes nous n'importe quoi, on s'en tape~